C'est avec une grande gentillesse que le Père C. Sanon nous faire découvrir son pays et sa mission.
Le Burkina-Faso, petit pays d'Afrique de l'ouest, était une colonie française devenue indépendante le 5 août 1960.
« Grand message de paix et de tolérance interreligieuse »
Vous venez d'arriver en France, à la paroisse Sainte Maxellende de Caudry. C'est la troisième fois, je crois ?
Père C. Sanon : « C'est la 3ième fois que je viens en France. La 1ere fois en 2009 à Saint-Amant-Les-Eaux, la 2ième en 2012 à Caudry et cette année pour les vacances d'été. »
Avez-vous trouvé des changements en France ?
« En tant que religieux, il n'y a pas tant de changements que cela. Je trouve les gens très gentils, accueillants du moins dans les paroisses dans laquelles j'ai été. Pour l'instant, au niveau de l'église, c'est trop tôt de porter un regard. Je n'aborde pas l'homme avec un état d'esprit. Partout où je vais, peu importe l'homme que je rencontre, je ne l'aborde pas avec des préjugés. C'est une découverte, c'est partager, se donner et s'accueillir mutuellement quelque soit ce que l'on est, avec nos différences. L'homme est une créature de Dieu, créé à l'image de Dieu, il n'y a rien de mauvais en l'homme. Je ne porte pas de jugements négatifs sur l'être humain. Bien sûr, en comparant avec ce que nous vivons au Burkina-Faso, ce qui parfois peut nous dépayser en France c'est le fait que les français sont un peu renfermés contrairement à l’Afrique où les gens sont plus ouverts et où le dynamisme de la foi est bien plus grand. Mais cela s'explique par le fait que la croissance démographique en Afrique est très importante, ce qui se fait sentir dans tous les domaines de la vie et particulièrement de la foi. »
Comment se vit la foi au Burkina-Faso ?
« Au Burkina, il y a plusieurs religions qui cohabitent relativement bien, et cela est une grande richesse du pays. Par exemple dans ma famille, en tant que prêtre catholique, j'ai un frère protestant, mes sœurs sont musulmanes et nous nous retrouvons même quand il y a des fêtes religieuses. Dans ma paroisse, il m'est arrivé de célébrer des funérailles où il y avait plus de musulmans que de catholiques. Cette cohabitation, je ne la ressens pas aussi présente en France. Au Burkina-Faso, les gens ont la liberté religieuse et ils ont accepté de cohabiter même au sein d'une même famille. Les Burkinabés ont compris que la religion nous unit et ne nous divise pas. Nous sommes tous fils et fille d'un même Père unique qui est Dieu. »
Cela veut dire que les enfants ne sont pas baptisés à la naissance ?
« Pour la religion catholique, il y a beaucoup de conversion tardive. Il y a la religion musulmane et la tradition traditionnelle du pays également mais la foi chrétienne est montante. Le Burkina-Faso est un petit pays de l’Afrique occidentale, pauvre au carrefour de cinq pays : Le Togo, le Niger, la Cote-d'ivoire, le Mali et le Bénin. Les catholiques représentent 30 % de la population, les musulmans sont les plus nombreux. Il y a les protestants et la religion traditionnelle animiste. C'est un pays sans mer, agricole, dépourvu de grands troupeaux qui souffre de sécheresse dans certaines régions. Le nord du pays est un désert. Le sud avec la proximité de la Cote d'Ivoire est plus humide. »
Quel âge avez-vous Père Sanon ? Votre parcours ?
« J'ai quarante et un an, je suis né d'une famille où le papa avait deux femmes, il est polygame et musulman. Je suis né en Cote-d'Ivoire et j'ai vécu au Burkina-Faso pour étudier à l'école. Après mes études primaires, j’ai poursuivi mes études secondaires à l’Ecole Nouvelle de Bobo-Dioulasso en premier cycle, et le second cycle au petit séminaire de Nasso. Apres le baccalauréat suivi de deux années de stage, j’ai été admis à poursuivre mes études au grand séminaire en cycle de philosophie à Kossoghin suivie du cycle de théologie à Saint Jean Baptiste de Ouagadougou. Ordonné prêtre en 2007 ; j’ai servi comme fidei donum six ans dans le diocèse de Banfora d’où je suis revenu dans mon diocèse en 2013 ».
Issu de parents musulmans, comment sont nées votre foi et votre vocation de prêtre ?
« Au lycée, je fréquentais les aumôniers des bibliothèques catholiques et je me suis converti au christianisme et baptisé en classe de troisième. C'est de moi-même que j'ai suivi la catéchèse et j'ai ressenti le désir de devenir prêtre. Et puisque, je venais d'une famille musulmane, Mgr Anselme Titiama Sanon, évêque à Dobogo, a souhaité que j'aille au petit séminaire pour le second cycle. »
Vous qui connaissez la religion musulmane, que vous a apporté la religion catholique de plus ?
« Il y a un plus. Il y a des choses qui j'ai approchées. D'abord ce qui m'a touché, c'est le sens de l'accueil des catholiques, l'acceptation de l'autre. »
Et cela, vous ne le trouviez pas dans la religion musulmane ?
« Non, je ne le trouvais pas. Dans certaine famille musulmane, on ne mange pas en présence d'une personne d'une autre religion. Chez les chrétiens, il n'y a jamais cela. La façon de vivre des catholiques m'a beaucoup touché. Et mes parents ont accepté sans problème. »
Depuis quand êtes-vous prêtre ? Quelles difficultés avez-vous rencontrées dans votre mission de prêtre?
« Je suis prêtre depuis le 07 juillet 2007. J'ai dix ans de sacerdoce et j'ai rencontré plus de joies que de difficultés. Joies qui n'ont fait oublier les moments difficiles dans cette mission que le Christ nous a confiée dans l’Église. L’Église poursuit cette mission mais c'est le Christ qui doit l’accomplir. Et dans cette mission de prêtre, nous avons des insuffisances, des imperfections par moments qui peuvent être source de découragements. J'ai été vicaire pendant trois ans dans une paroisse rurale Saint-Étienne de Beregadougou dans le diocèse de Banfora puis curé où j'ai fondé une paroisse rurale de Notre-Dame-De-La-Paix de Soubaganiédougou dans le même diocèse et enfin à l'heure actuelle je suis Curé d'une paroisse Notre-Dame-Des-Champs de N’Dorola dans le diocèse de Bobo-Dioulasso depuis quatre ans. Il y a beaucoup de problèmes ruraux et en particulier au niveau de l'éducation. Beaucoup d'enfants ne vont pas à l'école. Ce problème de pauvreté joue sur la vie spirituelle du pays. Car ceux qui sont préoccupés par leur ventre, par se nourrir en priorité, ne sont pas préoccupés par les affaires de Dieu. La religion est parfois une consolation. Parfois, nous rencontrons une certaine déception car quand le problème est réglé pour eux, ils se désintéressent ensuite de la religion. Mais, nous avons à apporter ce message de paix, de consolation. Nous avons à participer pour relever les hommes par un message de l'évangile. Ce message n'est pas toujours reçu chez les populations pauvres, ce qui parfois décourage. Mais avec la patience et le temps, la parole porte du fruit et c'est cela qui fait la joie d'être prêtre. C'est là que nous comprenons le travail que nous avons à abattre, la mission que nous avons à accomplir et c'est ainsi que nous comprenons que notre sommes l'instrument du Père qui travaille dans le cœur de Dieu. »
Pour les enfants qui ont besoin de se nourrir, d'aller à l'école, que faites-vous exactement ?
« L’Église joue sa partition en créant des écoles mais elle est limitée aussi car dans un pays pauvre, l’Église est pauvre aussi... Dans la paroisse que j'ai fondée Notre-Dame-De-La-Paix, il était primordiale de créer une école primaire, de construire un foyer pour les jeunes filles... c'était une de mes priorités. »
Comment vous vivez votre mission ? Vous restez dans votre paroisse ou vous allez à la rencontre des habitants comme cela se faisait couramment avant en France ?
« C'est impossible au Burkina de rester en paroisse. Il y a ce qu'on appelle les tournées. Nous parcourons parfois soixante-dix kilomètres pour visiter les populations locales. Nous allons à la rencontre des chrétiens et des différentes confessions religieuses. Nous parlons de pastorales de proximité et tout particulièrement dans le diocèse de Bobo-Dioulasso. Le dimanche est un jour de tournée pour les prêtres. Il est pratiquement impossible de trouver un prêtre en paroisse ce jour là. Les gens ont besoin de cette écoute, de cette présence du prêtre, de cette proximité... »
Où se situe, exactement, votre paroisse au Burkina-Faso ?
« Ma paroisse est loin de la capitale, elle couvre 86 villages. C'est la plus grande paroisse en territoire du diocèse de Bobo-Dioulasso avec six départements (administratifs soit 6 communes rurales). Cette paroisse est proche de la frontière malienne, ce qui explique le peu de catholiques sur ce territoire. Les populations sont en grande majorité de confession musulmane mais aussi de la religion traditionnelle. La population s’élève à 69000 habitants et les chrétiens sont de l’ordre de 9000 environs. Cela se passe bien, même si nous sommes dans la zone rouge comme on dit! »
En France, comment envisagez-vous votre mission ? Le pays et les français sont radicalement différents !
« … C'est une ouverture, nous allons à la rencontre des autres. C'est donner et recevoir et avec la proximité, cela nous permet de découvrir certaines réalités, les richesses d'ailleurs. C'est apporter ce que l'on a chez soi à l'autre même s'il y a des différences. Dans les paroisses où j'ai été, les français étaient accueillants, disponibles et prêts à partager. »
Comment abordez-vous votre façon d’évangéliser en France ?
« Ce sont les vacances d'été, notre contribution c'est-à-dire les pastorales sont les messes, les funérailles, les baptêmes... Cela se limite à ça. Mais les rencontres avec les familles durant les repas nous permettent de discuter, de partager, d'échanger sur la façon de vivre de chacun. Ce sont un peu des vacances pour nous aussi. Mais, être en France nous enrichit aussi d'être confrontés avec des réalités concrètes. »
Est-ce qu'il y a quelque chose en France qui vous dérange ? Qui est inadmissible ?
« J'ai l'impression que les français sont dans une bulle, enfermés dans leurs vie. Cela bloque un peu l'idée de proximité. »
Cela vous empêche-t-il de faire votre travail ?
« Ce n'est pas comme en Afrique où l'on peut rentrer partout et saluer tout le monde. En France, ce n'est pas le cas même si cela se comprend. Ce sont les avantages et les inconvénients. Je trouve que la vie est chère en France pour moi qui vient du Burkina-Faso. »
Les burkinabés vivent avec quel revenu ?
« Ils ont qu'un repas par jour et encore ! Mais il y a une très grande solidarité. Dans les familles, il y a toujours un repas de réserve pour le pauvre. J'ai croisé un prêtre belge qui me disait de tout manger à table mais moi je lui disais non, il faut garder la part du pauvre. En Afrique, on ne mange pas tout, car on ne sait pas quand le pauvre viendra. »
En France, nous respections cette tradition jusque dans les années soixante ou soixante-dix, après les gens se sont plus investis à donner dans les collectes alimentaires. Le pauvre qui cogne à la porte, cogne à la porte des œuvres humanitaires et les français y répondent comme cela aujourd'hui.
Avez-vous à faire passer un message aux français, de la part des Burkinabés ?
« C'est un message de reconnaissance de la part des Burkinabés aux français, des Pères évangélisateurs, des Pères blancs. C'est un message d'invitation à un réveil de la foi parce qu'on a l'impression aujourd'hui que la France qui a été un exemple pour nous, est en train de ralentir les pas de la foi en l'Afrique. En France, la majorité sont des personnes du troisième âge qui assistent aux messes. En Afrique, c'est la jeunesse surtout. »
Vous demandez donc aux français de réinvestir les églises et de retrouver la foi d'antan ? La France aide-t-elle votre pays ?
« Au niveau social, la France fait beaucoup au Burkina-Faso notamment dans l'éducation et pour la sécurité. Ces dernières années, nous avons été confronté à des problèmes de sécurité, à l'extrémisme. »
De quel d'extrémisme parlez-vous ?
«... Pas au Burkina-Faso même mais avec la proximité du Mali, l’extrémisme arrive à nos portes. Il y a beaucoup d'influences culturelles aussi qui viennent du Mali au Burkina-Faso et qui sont une richesse. Une partie des burkinabés ont une famille au Mali, la jeunesse imite ce qui se passe au Mali. Mais l'extrémisme religieux qui vient du mali est un danger pour le pays car cela provoque un blocage au dialogue interreligieux qui existe au Burkina-Faso entre chrétiens et musulmans. Un effort est alloué par les autorités religieuses qui luttent pour la paix, pour que le dialogue demeure. »
Vous vivez un peu le même problème que la France ? Est-ce à dire que vous vivez l'intégrisme avec plus de force au Burkina-Faso qu'en France ?
«... Oui, il y a quelqu'un qui a dit : « Quand il pleut en France, beaucoup de rues en Afrique sont mouillées. » Cela veut dire que ce qui vit la France se fait ressentir dans de nombreux pays africains. »
Donc, dès qu'il y a un attentat en France, Vous avez des répercutions au Burkina-Faso ?
« Oui et nous avons des attentats aussi. Ce qui pose problème, ce sont ces mouvements qui tentent de déstabiliser les pays qui sont stables sur le plan politique. Le Burkina-Faso est un exemple de démocratie en Afrique et ces mouvements nous effraient un peu. Mais notre rôle de prêtre est de prier. »
Quel message du Christ voulez-vous donner en priorité ?
« Le message du Christ n'est autre qu'un message de paix et d'amour entre les hommes. Celui qui n'aime pas son frère et qui prétend aimer Dieu est un menteur. Jésus disait : « Aimez-vous les uns des autres comme je vous ai aimé et c'est à cela que je reconnaîtrai que vous êtes mes disciples »
Merci au Père C. Sanon pour son témoignage,
pour ce beau message de paix et de tolérance interreligieuse,
et pour sa patience.